à Athènes le ciel se dégage

sorti des archives, je republie ce texte écrit en 2015 à Athènes où je m’étais rendu pour (entre autres) assister à l’élection de Tsipras
à la fin de ce texte, j’ai ajouté "Du rôle des jolies femmes dans la révolution à venir" que je cite ; c’est un autre texte, une invitation faite aux femmes de bien choisir les qualités de l’homme qu’elles épanouissent en l’aimant / ce texte m’aura valu une excommunication par les apôtres de l’église transidentitaire locale : normal, ce sont des phallocrates.
A Athènes le ciel se dégage – fin janvier 2015
Vendredi 23.01_environ 11h
Premier arrêt, je m’installe en terrasse rue Anexartissias et commande un café espresso. Il fait beau, les tables sont au soleil, la jeune femme m’amène la tasse et un verre d’eau, accompagnés d’un sourire ; elle me demande d’où je viens : de France, Galida ; « Ah oui, la France !… » Nous échangeons à nouveau un sourire puis elle retourne derrière le comptoir de ce café très classique qui pourrait aussi bien être accroché aux pentes de Montmartre qu’il l’est à celles d’Exarcheia. Je suis sorti ce matin assez tôt, et après avoir remonté la rue Themistocleous depuis la place Omonia les murs m’ont conduit jusqu’au sommet de la colline sur laquelle s’appuie le quartier avant que je ne redescende jusqu’ici par une de ses rues en escalier. Les rues d’Exarcheia. « Exarcheia est un poème dont chaque rue est un vers »* Dans la matinée, les rues sont calmes et la lumière est douce : conditions idéales pour lire le poème et en photographier certains passages…
Je suis arrivé à Athènes hier après-midi, quelques heures avant le début du dernier meeting de Syriza qui se préparait place Omonia (Harmonie) lorsque j’y suis passé pour rejoindre Kamateroy où je vais loger durant ces quatre jours. Ce hasard du calendrier et cette coïncidence géographique sont comme une évidence, une invitation à plonger au plus tôt dans le vif du sujet qui m’a attiré jusqu’ici : les élections législatives grecques qui font trembler l’Europe en risquant de conduire au pouvoir un parti, ou plutôt une coalition de treize petits parti d’extrême gauche : SYRIZA est un acronyme qui signifie Coalition de la Gauche Radicale /
Le meeting est prévu à 19h : cela me laisse juste le temps de m’installer. Flower, la femme de Miglen, m’attend comme convenu. Nous prenons l’ascenseur, direction le sixième étage où m’attend le studio que j’ai loué depuis la France via un site internet. C’est très simple, un peu vieillot mais il y a un vrai lit, des plaques électriques (seules deux sur quatre fonctionnent), des toilettes qui fuient très peu et de l’eau chaude, uniquement dans la salle de bain mais à choisir je préfère la trouver là qu’à la cuisine … Flower me fait quelques recommandations, m’indique les lieux touristiques à ne pas rater et m’explique que le quartier a mauvaise réputation. Immigration, drogue, prostitution imposent la prudence même si l’omni présence policière est là pour rassurer le touriste. En confidence, elle me précise que Miglen fait en sorte que l’immeuble bénéficie d’une attention particulière de la part des flics qui stationnent jour et nuit au carrefour…ambiance
Allégé de mon sac à dos, je ressors et retourne place Omonia située à quelques 200m de là. Des gens arrive doucement. Un grand écran a été installé qui diffuse un précédent discours de Tsipras alors que la sono crache du Pink Floyd : we don’t need no education, Bellaciao en italien …
Je prends quelques photos en circulant parmi les petits groupes qui se forment ça et là. Deux estrades ont été installées face à la scène pour accueillir micros, cameras et journalistes, très nombreux, venus du monde entier. Le meeting est filmé et retransmis en direct par Nérit, télévision privée crée par Samaras et toute dévouée à l’oligarchie locale. Et c’est d’ailleurs à la même heure, sur la place Syntagma qu’a lieu le meeting de Samaras, premier ministre sortant. Alors que je cherche un angle favorable pour tenter de capter l’arrivée de Tsipras à la tribune, une femme d’environ quarante cinq ans m’interpelle en anglais :
« Eh ! tu viens d’où ? »
« De France, je lui réponds »
« En France vous vous croyez à l’abri, vous vous croyez forts mais il peut vous arriver la même chose qu’à nous ici : la misère. On en a marre, c’est très difficile pour manger, se chauffer. »
« Je sais bien, je lui réponds, et vous pensez que Syriza pourra changer ça ? »
« Oui ! On y croit on veut que ça change ! » Ce sont des convaincues, des fans de Syriza.
Elles sont plutôt bien habillées, portant bijoux et maquillées. Une autre intervient, dans un anglais approximatif elle me dit qu’elle ne parle ni français ni anglais, qu’elle est russe et me demande si moi-même je parle russe. Alors me reviennent les paroles d’une chanson :
« mui idiom diti rutchech cagda ti rutchech, i mi luibi drusdugom cagda lubof pagip … »**
La femme part d’un grand éclat de rire et me félicite pour cette heureuse surprise. Me voilà intégré, accueilli parmi la foule qui se tasse un peu plus.
Enfin Tsipras arrive. Les drapeaux dansent avec allégresse, les cris et les applaudissements éclatent. Je reconnais les drapeaux des Verts européens (tournesol sur fond vert), ceux de Syriza bien sûr, ceux du bloc de la gauche portugaise, et une grande banderole en espagnol qui associe Syriza et Podemos. Son discours va durer environ 45 minutes. Je ne parle pas grec et ne comprends pas un mot prononcé. Mais l’homme a d’indéniables qualités d’orateur. Le ton est calme et très déterminé ; le débit est rapide. Les phrases sont martelées, soulignées de gestes et s’achèvent presque toutes dans un tonnerre d’applaudissements. Pourtant, lorsque de l’assemblée jaillit une apostrophe ou une question, Tsipras n’y prête pas attention. Il s’en tient au discours qui a été préparé et qu’il déroule en tournant les feuilles sur le pupitre.
Quelques mots se détachent : Merkel, troïka … Le ton monte et s’affirme, toujours calme mais reflétant la détermination de celui qui s’exprime. Le public s’échauffe, on sent que la fin du discours approche, il a été construit comme une lente et puissante progression qui va s’achever en émotion intense lorsque Tsipras, tel un magicien, sort Iglesias de son chapeau. Le leader de Podemos dit d’abord quelques mots en grec, très applaudis, puis lance en espagnol que Syriza et Podemos sont maintenant ensemble pour changer la donne en Europe et redonner l’espoir aux peuples. Les deux hommes saluent une dernière fois en tenant bien haut leurs mains réunies puis disparaissent alors que la sono redémarre à fond sur Bellaciao. Autour de moi les visages sont souriants et les yeux embués..
De nombreuses personnes, notamment âgées, sont gagnées par une émotion sincère qui me touche moi aussi, suscitée par la force du discours et le sentiment fugace d’une communion fraternelle. Je m’éloigne alors du centre du rassemblement pour constater que la place est loin d’être bondée. Les rues adjacentes non plus ne sont pas noires de monde
Samedi 24.01_environ 18h
Hier, j’ai arpenté en tous sens un périmètre compris entre l’école polytechnique au nord, ornée de deux beaux drapeaux noirs siglés du A cerclé : symbole de son occupation récente (décembre 2014), la place Omonia à l’ouest, toute l’avenue Akademia qui descend vers le sud et je me suis perdu vers l’est du côté de Kalidromiou. Aujourd’hui j’ai élargi mon périmètre.
Je me suis baladé plus au sud-ouest autour de l’Acropole et dans le quartier de la Plaka et c’est en remontant vers Omonia et Exarcheia que je me suis retrouvé je ne sais trop comment au milieu de bâtiments entièrement graphés, tagués, bombés de slogans, dessins, hommages en tous genres. Politique, artistique, en couleurs et en noir et blanc, pourrie ou super léchée, l’expression libre prend ici toute la place, partout du sol jusqu’à 4 à 5 mètres de hauteurs. J’ai dû arrêter une fille qui passait par là pour lui demander où j’étais, tellement je trouvais cet endroit incroyable.
« Tu es à la fac d’architecture, me répond-elle en anglais. Elle me demande d’où je viens : « Galida ! » et si je fais du tourisme. Je lui explique que ma motivation est plutôt politique : photographier les murs d’Athènes et bien sûr suivre de près les élections de demain. Elle doit avoir 23-25 ans et m’avoue un peu gênée qu’elle ne sait pas encore pour qui elle votera ni même si elle ira. Elle n’écoute pas les infos et ne se préoccupe pas de politique : la période d’examen ne va pas tarder, c’est plus ce qui l’occupe. A nouveau, cela me donne l’impression que les grecs ne sont pas très enthousiastes concernant ces élections. Déjà Stavros, un Chypriote venu voir sa fille Adriana qui vit à Athènes avec sa mère dont il est séparé m’expliquait hier que les grecs sont assez dubitatifs. Ils sont fatigués, usés par la ‘crise humanitaire’ qui touche le pays, ce sont les termes employés par Tsipras.
Syriza a accueilli en son sein plusieurs cadres du Pazok : le parti socialiste moribond en Grèce et une grande méfiance demeure quand à la capacité de Syriza à faire disparaître le clientélisme et la corruption : omniprésents dans la vie politique grecque depuis toujours … Je n’insiste pas et souhaite à cette jolie grecque blonde et calme, très posée, la réussite pour ses exams.
Me voilà maintenant calé sur une banquette à l’étage du Nosotros. Situé au 66, Themistocléous. Le Nosotros est un immeuble de trois étages autogéré dans lequel s’organise depuis une dizaine d’années une vie en marge du système. Anti-autoritarisme, anti-sexisme, anti-fascisme tissent la trame commune des initiatives qui s’organisent ici. Un slogan s’affiche au feutre au pied de l’escalier : No TAV, No aéroport NDDL – je souris.
Sur le mur de l’entrée une affiche annonce pour le mardi 27.01 à 20h une intervention de Yannis Youlountas sur le thème ‘Je suis Charlie ?’ – je souris à nouveau même si je repars lundi et ne serai donc plus là. Me voilà comme à la maison. Yannis est franco-grec. Il écrit des livres, milite, voyage, relie des individu-es et des luttes, il filme, témoigne, donne la parole et la prend pour raconter ce monde qui résiste et qui crée. Son film ‘Ne vivons plus comme des esclaves’ a été présenté pour la première fois ici sur le toit-terrasse de l’immeuble, le 28 août 2013. Depuis, il a été traduit en plusieurs langues et Yannis est invité plusieurs fois par mois en France et ailleurs pour des projections publiques. Je vous invite à découvrir ce film, seul ou entre amis, il est disponible gratuitement sur la toile. Le livre ‘Exarcheia la noire’, co-écrit avec sa femme Maud qui est photographe et préfacé par deux acteurs du Nosotros, a été l’une des mèches qui ont allumé mon désir de venir ici : à Athénes, à Exarcheia, au Nosotros.
A cette heure-ci l’ambiance est calme. Dans un décor assez sobre mais chaleureux, des étudiants sont attablés et travaillent en face de moi. Sur la droite, une jeune femme mange en écrivant sur son ordinateur. A gauche, quatre hommes de 40 à 60 ans sont en grande conversation. Ils pourraient bien être prof, éditeurs ou journalistes et aux quelques mots que je saisis : Samaras, Syriza je comprends qu’ils parlent des élections qui auront lieu demain.
Sur un mur une expo de photos en noir et blanc est accompagnée de textes, de la musique résonne doucement dans une atmosphère presque feutrée. Les meubles sont de récup, au plafond, très haut, un réseau de câbles distribue l’électricité dans la salle et de ce maillage pendent par grappes des ampoules blanches et nues qui, en multipliant les sources, baignent la pièce d’une lumière douce et claire. Dans cette lumière, je trouve une part de ce que je suis venu chercher ici : douceur des échanges, clarté des esprits, chaleur des cœurs. Après avoir passé un petit moment à écrire dans mon cahier à spirale, je me lève pour rejoindre le bar en faisant le tour de la cage d’escalier qui grimpe aux étages en se nichant au centre du grand U que forme la pièce. Je découvre d’autres tables, un baby-foot et une cuisine impeccable où sont préparées chaque jour des assiettes vendues quelques euros. Au mur derrière le bar est punaisé l’indispensable planning des permanences, le code wifi ainsi que le prix des consommations. Le prix libre n’est donc pas pratiqué ici, mais après avoir fait connaissance avec Pablo et la jeune femme qui s’occupe du bar aujourd’hui, j’apprends que l’endroit n’est pas squatté. Il est loué par un propriétaire sympathisant, ce qui est peut-être un gage de stabilité pour les différentes activités plus ou moins clandestines qui se tiennent dans les parties de l’immeuble inaccessibles au public.
J’ai emmené avec moi un exemplaire de mon livre : ‘Gabrielle, ou la révolution relative’ et je propose à Pablo de l’offrir au lieu. Il rigole d’abord car le livre est en français, puis il réfléchit et me dit que cela intéressera peut-être quelques habitués qui parlent français. Il faut savoir que le français est la deuxième langue étrangère la plus étudiée à l’école après l’anglais. Tout au long de mes déambulations dans les rues d’Athènes j’ai croisé de nombreuses traces en français : graphes, affiches, j’ai pu discuter en français avec certain-es et là encore sur la porte des toilettes sont collés des stickers ‘Vivons heureux, vivons sans dieu’ – ‘Pas de justice, pas de paix’ estampillés CGA. Je lui demande si le livre prendra place dans la bibliothèque du Nosotros, Pablo me répond que cela est prévu, la bibliothèque est en cours d’organisation mais pas encore opérationnelle. Diantre ! Si j’habitais Athènes je donnerais volontiers un coup de main …
D’accord je classerais peut-être les luttes anti-fascistes espagnoles avec la maïeutique grecque antique faute de maitriser la langue mais après tout pourquoi pas ? Une autre solution consiste à apprendre un peu de grec avant de revenir, j’espère bien, ici. Mais d’ici là gageons que la bibliothèque sera en place… La jeune femme derrière le bar me prépare un café espresso et pendant que la cafetière italienne distille en son sein un élixir puissant et parfumé nous échangeons quelques mots. Elle ne parle pas français, mais je laisse la langue de l’empire pour l’espagnol qu’elle pratique un peu. Tout comme Pablo, elle est toute de noir vêtue, bras nus, le regard aussi profond, noir et brillant que la flamme anar qui est entretenue ici. Son sourire franc et rieur est une invitation, un appel inconditionnel au bonheur permanent. Sa beauté me touche et je repense à un texte :‘Du rôle des jolies femmes dans la révolution à venir’ que j’ai écrit il y a quelques années.
L’action, l’engagement militant même violent sont aujourd’hui portés aussi bien par des jeunes hommes que des jeunes femmes, très déterminées, et je ne sais pas si c’est la beauté qui se fait révolutionnaire ou si la révolution rend belle et beau du dedans, pour rayonner ainsi sur les visages. De retour à la table je continue à prendre des notes et je couvre les pages sans presque m’arrêter. Ce lieu m’inspire. Doit y avoir un truc dans l’air. Ou alors c’est cette lumière, douce et indirecte qui habille l’espace d’un voile diffus. L’esprit du lieu qui réveille au fond de mes tripes l’envie d’offrir du beau. Puis quelque chose se passe, un changement s’opère, des mains, des bras s’activent.
Nodas est arrivé avec une pile d’affiches qui annoncent l’intervention de Yannis. Elles sont posées sur une table et seront collées dans la nuit. Demain matin pendant ma lecture quotidienne et aléatoire du poème des rues d’Exarcheia je tomberai sans doute dessus. Dans un coin de la pièce près d’une fenêtre sont empilés des câbles audio, une table de mixage, un pied de micro. Quelqu’un vient et commence à installer ce qui servira tout à l’heure pour une présentation-débat. Je reconnais Vangelis, qui a co-écrit la préface du livre ‘Exarcheia la noire’. Je lui demande ce qui se trame et il me répond qu’il s’agit du mouvement Blockupy qui sillonne l’Europe depuis deux mois pour mobiliser en vue d’actions contre l’ECB-opening gala qui aura lieu à Frankfort le 18 mars prochain. Ce soir ils passent par le Nosotros. Il ajoute qu’ensuite il y a une fête prévue. Je me demande vaguement si Yannis sera présent. Avant de partir, je l’ai prévenu par mail de ma venue à Athènes pour les élections, en ajoutant que s’il était sur place je boirai volontiers un coup avec lui pour faire connaissance. Je n’ai pas eu de réponse et je ne sais même pas s’il va venir pour couvrir l’événement ou pour voter, mais je sais qu’il sera au Nosotros mardi pour parler de Charlie…
Autour du baby-foot une partie endiablée délie les langues, la sono est maintenant prête pour Blockupy dont trois membres sont arrivés et discutent avec Vangelis. Je ferme mon cahier et me mets un peu en retrait sur un des tabourets le long du mur. Je roule une cigarette et peu à peu la salle se remplit. J’hésite à rester ou repartir. Demain j’ai prévu de me lever tôt pour faire encore des photos des murs le matin, avant de me concentrer sur les élections. Mais je me sens si bien là tranquille sur mon tabouret à observer … Finalement j’attends le début de la discussion qui se fait en allemand, anglais et grec. Vu que j’entrave que dalle, mon regard glisse et tombe encore sur une affiche en français :
‘Des lendemains qui chantent’, festival-hommage à Clément Méric, militant d’extrême gauche mortellement agressé par des skinheads à Paris le 5 juin 2013. Toutes ces traces témoignent d’un lien fort qui existe entre des luttes et des collectifs de France et de Grèce. La mort d’Alexis le 6 décembre 2008 et les émeutes qui ont suivi ont eu un effet très important sur ma propre rage et avait contribué à l’époque à ce que je m’intéresse à ce qui se passait en Grèce.
J’avais alors publié sur Indymedia-Athènes le récit stop consommation et d’autres textes et je ne suis sans doute pas seul à avoir eu envie d’alimenter en combustible-pensée le feu qui s’allumait alors. Celui/celle/ceux qui signent oré dans les rues d’Athènes des graphes et des pochoirs en français sont peut-être venus de France à cette époque, en tout cas il/elle/ils sont aussi passé-es par Barcelone où j’ai déjà croisé le serpent aztèque(?) ainsi que le Front de Libération de l’Amour …C’est l’Europe des émeutiers, des artivistes et des magiciens qui voyagent pour semer partout les graines de révoltes et d’utopie.
Dimanche 25.01_environ 13h
Après avoir de nouveau passé la matinée à explorer les rues d’Exarcheia et un peu au-delà, je suis revenu au café situé 60, Ikonomou à quelques dizaines de mètres de la place et du Nosotros, fermé à cette heure-ci. C’est aujourd’hui que l’histoire s’écrit sur les bulletins électoraux et je n’ai remarqué aucune effervescence particulière, aucun signe tendant à montrer l’importance de ce qui se joue.
Tout en haut de Thémistokléous, sur Anexartissias je suis passé devant une des permanences de Syriza. Comme un gars photographiait la devanture je me suis adressé à lui pour lui demander s’il sait où les gens se retrouveront ce soir pour attendre les résultats et faire la fête. Il me répond que je peux toujours aller faire un tour du côté de la place Elefthérias (place de la liberté) où se trouve le siège de Syriza. Au numéro 1. 1, place de la liberté : voilà un choix on ne peut plus symbolique… Cela n’est sans doute pas un hasard et confirme la maîtrise du symbole que l’on doit reconnaître à Tsipras et son équipe. Ensuite, continue-t-il, il y aura un rassemblement devant l’Université : sur Korai et Klafthmonos. Je le remercie pour ces précieux renseignements et après avoir encore zigzagué de part et d’autre de la rue Benaki, me voilà donc à l’une des tables de ce café orné d’oiseaux bleus.
Depuis la terrasse je commande par la fenêtre ouverte un café filtre et la serveuse qui me reconnaît d’hier me demande en français comment ça va. Lorsqu’elle arrive, amenant sur son plateau une cafetière-filtre, une tasse et un verre d’eau je la félicite.
« - Tu parles bien français !
- Oui un petit peu ; je comprends bien mais je ne parle pas trop.
- Tu l’as étudié ?
- Oui, à l’école.
- Es-tu déjà venu en France ?
- Oui, l’été dernier je suis venue à Avignon, au festival. Je suis comédienne.
- Comment t’appelles-tu ?
- Lysandra et toi ?
- David.
- Et que fais-tu ? Là tu écris je vois.
- Oui, j’écris, je fais quelques photos aussi des murs du quartier … » Elle rit.
Pendant notre discussion, un homme s’approche, un peu timidement. Nous échangeons nos mails puis Lysandra reprends son service et alors l’homme s’adresse à moi en français. « Salut frère, tu parles français, je peux me faire une cigarette ? » demande-t-il en montrant le tabac à rouler posé sur la table. « Oui, vas-y. Tu parles bien français toi aussi, d’où viens-tu ? » Jonathan, c’est son prénom, me raconte alors qu’il vient d’Angola (non francophone, mais ne ment-il pas pour se protéger ?). Il est arrivé à Athènes il y a trois ans et demi et il vit là sans papier. Il est coincé ici à cause du traité de Dublin qui oblige les pays dans lesquels arrivent les clandestins à les garder, sans espoir pour eux de circuler en Europe.
C’est ainsi que l’Europe globalement et les pays du nord en particulier se protègent en obligeant les pays d’arrivée de ces migrants à les garder sur place. En Grèce et en Italie sont entassés dans des centres de rétentions inhumains des dizaines de milliers d’individu-es qui n’ont aucune perspective. Il me dit le racisme très fort et qui peut être très violent ici. Il me dit ses rêves de rejoindre la France où il connaît un peu de monde et où il voudrait faire une formation en maintenance des systèmes de communication.
Il me dit son espoir que Syriza passe pour que tout soit mieux et que les racistes soient moins forts. Il me dit aussi la solidarité qui existe dans le quartier, c’est grâce à tous ces gens, aux mamans surtout précise-t-il, que lui et d’autres peuvent survivre. Pendant notre discussion il disait bonjour à tout le monde et récoltait en retour des bonjours et des sourires. On a regardé ensemble les photos stockées dans mon appareil, on a parlé de Sarkozy et de Hollande et puis il a roulé quelques cigarettes de réserve avant d’aller se reposer et retrouver un ami. Finalement de tous les Athéniens avec qui j’ai parlé c’est celui qui fonde le plus d’espoir sur Syriza et Tsipras pour améliorer son quotidien.
Il en attend beaucoup et j’espère sincèrement que ses espoirs ne seront pas déçus.
Après être repassé par ‘la maison’ pour manger, je repars en direction de la place de la liberté. Je me paume un peu en y allant et me retrouve dans le quartier Psiri, quartier populaire et dense dans lequel je découvre encore et toujours de nouvelles images sur les murs. Je consulte le précieux plan usé qui m’attendait chez un bouquiniste à St-Girons, puis je redescends Sari. Dans les rues adjacentes je découvre encore des graphes : un portrait de Lukanikos le chien émeutier devenu mascotte, des références à William Blake, … à chaque pas j’en découvre d’autres qui m’embarquent dans le dédale de rues étroites.
A un moment, non loin d’Anargiri une porte est ouverte sur ce qui semble être une salle de spectacle, ou un théâtre. Devant la porte se tiennent un homme et une femme qui discutent et un homme au téléphone qui parle français : il semble attendre quelqu’un. Comme j’arrive à leur hauteur, je m’adresse à la femme et à l’homme qui papotent et leur demande en français si c’est un théâtre et ce qui se prépare. L’homme me répond en français lui aussi qu’ils attendent Gillou (?) pour une conférence, mais il y a des problèmes avec les néo-fascistes, des provocations. Il ajoute que c’est bien un lieu culturel dont s’occupe avec grand sérieux la jeune grecque, qui rigole. Finalement l’autre raccroche, me salue vaguement et s’adressant à ses amis confirme que Gillou aura du retard. Je n’insiste pas et file à nouveau, porté par les murs …
Peu après j’arrive à Eftherias, par Kranaou au sud. Au centre de la place se trouve un square où une quinzaine d’indiens ou bengalis jouent au cricket, je m’engage par l’est et très vite je remarque les camions techniques des chaines de télé. Il y a en a une dizaine garés le long du trottoir ; au bout sur la pelouse, une tente est dressée pour la presse et une estrade pour les caméras : il y en a une vingtaine d’installées pour le moment, ce qui est beaucoup moins que jeudi place Omonia. En face de ce dispositif contenu par des barrières métalliques, je découvre l’immeuble de 5 étages assez discret qui sert de siège à Syriza. Je le photographie puis tente de trouver quelques chiffres de la participation ou des estimations des résultats. Je m’approche et me mêle aux journalistes et techniciens qui s’affairent. On se prépare, on règle, on installe. Sous la tente, les télés relaient les estimations des instituts de sondage : fourchette entre 148 et 152 sièges : rien de neuf. Je m’assieds un peu en retrait et roule une cigarette en observant. Il y a la presse, certes, mais pas de badauds ni de sympathisants enthousiastes. Il est encore trop tôt 17h42, et c’est peut-être sur la place Klafmonos où a été installé le principal stand de campagne du parti que les électeurs se réunissent dans l’attente des résultats.
En choisissant de rester ici je peux capter un éventuel message de Tsipras à la presse, qu’il ferait avant de rejoindre la foule à Klafthmonos pour prononcer un discours prévu après 21h. Discours que je rate pour rien si j’attends ici et qu’en quittant l’immeuble il ne s’adresse pas à la presse : ce qui est probable. Mais d’ici là, en attendant de bouger ou pas je suis aussi bien ici, à fumer ma clope en assistant depuis les coulisses à la mise en place de la machinerie médiatique. C’est peut-être de me voir décalé par rapport à mes ‘confrères’ qu’un flic en tenue s’approche et me demande en grec ce que je fais là ou de bouger, me semble-t-il. Puis il remarque l’appareil photo que j’ai encore à l’épaule et me dit « photographer ? Where do you come from ? »
« Ime Galos » « OK, OK France, oui ! »
Me voilà admis. Je comprends néanmoins qu’il m’a pris pour un grec et que l’on est pas obligé de rester planté là à regarder … Alors, pour donner un peu plus de crédibilité face à la suspicion policière et m’occuper, je sors mon cahier à spirale pour prendre quelques notes.
Devant et dans l’immeuble, tout un petit monde : cadres du parti, stratèges, organisateurs, coordinateurs, sécurité, médias … s’affaire l’air tendu et très sérieux. La victoire est acquise mais pas la majorité absolue au parlement.
Nombreu-ses sont au téléphone en quête de résultats plus précis ou définitifs dans telle ou telle ville ou île de Grèce. La tension est réelle, l’agitation contagieuse. A l’entrée de l’immeuble est posté un flic en tenue légère, je n’ai d’ailleurs vu aucun robocop ni car vert grillagé alors qu’ils sont légion dans toute la ville. Le flic est tout jeune, crâne découvert et semble très mal à l’aise d’être ainsi exposé en pâture aux caméras du monde. Puis il y a du mouvement. Des types déplacent les barrières métalliques pour former un L plus prés autour de l’entrée. Je me rassois en retrait en attendant. Je ne sais même pas si Tsipras est déjà dedans ou si on l’attend.
L’attente interminable : doux écueil du journalisme.
Et finalement, c’est dans cette expectative que je vois arriver Youlountas. Il est environ 20h. Je le salue. Très vite nous faisons connaissance et échangeons nos points de vue sur les élections en cours. Des résultats officieux donnant à Syriza la majorité absolue lui sont tombés dans l’oreille tout à l’heure, mais vu la mine toujours aussi préoccupée des cadres qui peuplent l’immeuble rien ne semble aussi sûr. Un ami lyonnais de Yannis nous rejoint, puis une française encore. Yannis interpelle en grec certain-es lorsqu’ils sortent de l’immeuble et passent devant nous, mais pas de précision : c’est très serré, au Pyrée il faut recompter ; on est maintenant dans une fourchette 149 / 151 et il reste moins de la moitié des bulletins à dépouiller. On s’oriente donc vers une victoire de Syriza sans majorité absolue au parlement ce qui va l’obliger à une alliance. Donc à encore des compromis.
Pourtant cela serait intéressant de voir un parti de la gauche radicale seul au pouvoir. D’une part pour qu’il ait toute liberté de mener les réformes prévues, d’autre part pour assumer seul les résultats de ces réformes. En s’alliant, Syriza devra peut-être revenir sur certains points de son programme et en cas d’échec de la politique menée il pourra toujours en faire porter la responsabilité (ou une partie) sur ses alliés. Mais c’est bien cela le jeu démocratique. Avec qui pourra-t-il donc s’allier pour former un gouvernement ? Sur sa gauche, le KKE, parti communiste grec qui est encore plus radical ne s’associera pas. To Potami : le ruisseau, le tout nouveau parti du centre ? En tout cas pas le Pasok : le PS local complètement moribond dont beaucoup de cadres, sentant le vent du changement souffler sur la Grèce, ont déjà rejoint Syriza ; ni la Nouvelle Démocratie : la droite traditionnelle. Un peu plus à droite il reste le parti des Grecs Indépendants, et les néo-nazis d’Aube Dorée … Yannis me rapporte un événement survenu cet après-midi, qui répond à la conversation que j’ai surprise devant le théâtre tout à l’heure : un député d’aube dorée aurait insulté dans la rue un groupe d’anti-fa ou de gauchistes affichés, qui lui auraient cassé la gueule. Un peu plus tard dans la soirée Yannis recevra un message annonçant qu’en représailles un groupe de militants d’aube dorée s’en sont pris à des anti-fascistes. Doit-on avoir peur d’une réaction violente d’aube dorée après l’annonce de la victoire de la gauche radicale ?
Son leader a annoncé il y a quelques temps qu’ils ne laisseraient pas Tsipras gouverner … Intimidation, menaces, … Y a-t-il vraiment un risque ? Sur ce sujet, Yannis trouve le dispositif de sécurité autour du siège de Syriza très léger par rapport aux enjeux et aux menaces lancées. En plaisantant il nous demande si on a prévu les gilets pare-balles : humour-stress post Charlie ? Yannis travaille pour Siné-Hebdo, ils étaient eux aussi en salle de rédaction dans leurs locaux le mercredi 7 janvier… En attendant l’arrivée de Tsipras, nous discutons du prochain film sur lequel travaille Yannis : ’Je lutte donc je suis’, nous parlons du consumérisme et du matérialisme qui nourrissent les peurs sur lesquelles poussent les idées morbides de l’extrême droite, puis de philosophie et de la liberté qui se déploie et s’épanouit au contact de l’autre, l’inconnu, l’étranger.
Depuis la chute du mur de Berlin, le capitalisme s’impose comme seule et définitive utopie humaine : l’ultime évolution de la société civilisée ! Aucune utopie émancipatrice n’a émergé depuis l’effondrement du communisme et c’est bien ce matérialisme consumériste (et non philosophique) triomphant, sans cœur ni âme, qui a conduit à envisager la Nature entière comme une marchandise et les humains comme un cheptel de bétail inculte et docile qui doit travailler et consommer pour mériter sa place dans l’uniformité ambiante.
Cette logique assassine appliquée à un peuple et un pays entier comme la Grèce depuis la faillite du système était peut-être comme un test de résistance grandeur nature : jusqu’où peut-on soumettre et affaiblir, humilier et réduire à rien une population ? Et comment réagit-elle à ce traitement ? L’expérience prend fin ce soir. Et il est plus que réjouissant de constater que la réponse démocratique, le sursaut de fierté et d’insolence vient de la gauche.
Non le peuple grec, tout comme le Portugal, l’Espagne ou l’Irlande ne se réfugie pas dans la peur et le repli identitaire ; non. Le peuple grec même sans grand enthousiasme, cherche dans les idées émancipatrices de solidarité, de justice, de dignité, il dépoussière d’un coup les utopies socialistes et s’affirme en mordant enfin le pied qui l’écrase depuis trop longtemps, tout en soignant les coups et les blessures qu’il reçoit en récompense des sacrifices déjà consentis …
Si la politique se nourrit d’imaginaire, Syriza est une formidable usine à rêves. Et si l’on rêve de manière moins visible ici en Grèce c’est que les attentes sont très concrètes. Mais ce rêve semble se répandre et imprégner très fortement l’imaginaire d’autres peuples en Europe. Espagnols, portugais et irlandais en tête, qui voient apparaître dans leur paysage politique des formations animées des mêmes aspirations sociales. Mais aussi en France, d’où Yannis reçoit quantité de messages provenant des milieux de la gauche radicale, ou d’anarchistes et qui célèbrent cette victoire comme si c’était la leur.
Même des individu-es qui refusent de voter en France, saluent le vote décisif et émancipateur des grecs en espérant que l’onde de choc parviendra jusqu’à chez nous pour faire trembler l’inertie du système politique … N’est-ce pas étonnant ?
Pourtant, non Syriza n’est pas un parti de gauche extrémiste.
Non Syriza ne bouleversera ni l’Europe, ni le monde, ni la bourse, ni le capitalisme … Syriza n’est pas un parti dangereusement extrémiste de gauche … C’est juste un parti de gauche. De gauche qui s’assume. Il est préférable pour le PS et ses complices de droite de placer Syriza à l’extrême gauche du curseur politique pour ne pas bouleverser l’ordre des choses. Mais il va falloir faire bouger ces lignes : Syriza est un parti de gauche qui révèle tout à coup à celles et ceux qui en doutait encore que le PS est à sa droite et que l’UMP s’approche de l’extrême droite où l’attend bras ouverts le FN pour une prochaine fusion ?
C’est cela qu’il faut bien expliquer ici et là.
Syriza n’est pas un parti révolutionnaire.
C’est un parti réformateur animé de réelles préoccupations sociales. Juste ça.
D’ailleurs, la gauche la plus radicale ne soutient plus Syriza même si beaucoup ont voté dans le secret de l’isoloir pour que le changement ait lieu. Tsipras est allé aux EU un an avant les élections pour rencontrer le FMI et plusieurs think-tank, c’est à dire pour rassurer l’élite mondiale ; un membre de son équipe a fait le déplacement à la City de Londres ; d’abord annoncé dans le programme la sortie de la Grèce de l’OTAN ne se fera pas ; la séparation de l’église et de l’état non plus … tout cela a valu à Syriza de nombreuses critiques et un désengagement à ses côtés des forces les plus radicales.
Mais peut-on être élu et conduit à gouverner un pays démocratiquement avec le seul soutien des 7 à 10% des plus radicaux du pays ? Non. Partant d’aspirations et d’annonces très symboliques et très ancrées à gauche, (démilitarisation, anti-cléricalisme,..) Syriza s’est recentré pour étendre sa représentativité et rassurer ses futures partenaires et interlocuteurs dans le monde. Agissant ainsi il a certes perdu le soutien affiché de sa base la plus populaire et active socialement, tout en gardant sa sympathie, mais ça a peut-être permit d’éviter un effondrement social et une fuite précipitée des capitaux vers l’étranger ? C’est sans doute en rassurant comme il l’a fait que Syriza a élargi son électorat et gagné notamment le vote des retraités, votes qui lui avaient fait défaut lors des précédentes élections. Maintenant que les grandes manœuvres sont terminées, quoique pas tout à fait puisqu’il faudra trouver un allié pour gouverner, Syriza va pouvoir se mettre au travail et mener la politique pragmatique que la population attend de lui.
ah ! Enfin, Tsipras arrive.
Un motard ouvre la route, une voiture pour lui, une jeune femme qui l’accompagne et un garde du corps, derrière un autre véhicule ferme la marche : voilà donc le prochain premier ministre grec. Il sort, salue la presse et serre quelques mains mais ne s’attarde pas trop avant de s’engouffrer dans le hall de l’immeuble. Direction le dernier étage pour une ultime réunion politique avant d’aller prononcer son discours. Les résultats définitifs ne sont toujours pas connus et ne le seront que le lendemain matin.
Fourchette de 149 à 151 sièges et encore quelques dizaines de milliers de bulletins à dépouiller. Yannis reste sur place jusqu’au départ de Tsipras pour Klafthmonos – nous attendons ensemble et rejoindrons la fête tout à l’heure. L’attente encore … Yannis est submergé de messages venus de France : il se concentre dessus pour répondre et envoyer des images ; je prends quelques photos et j’observe trois migrants en face de nous qui sont là comme en figuration, l’un d’eux porte un drapeau de Syriza à la main, qu’il agite de temps en temps sans conviction. Leur visage est fermé, pas un sourire, pas de joie … ont-il été payé pour paraître sur les photos ? A l’intérieur ça s’éternise.
Puis des figures du mouvement commencent à ressortir. Au passage Yannis attire mon attention sur ?, député aveugle dont la vie et le parcours, me dit-il, mérite d’être connus.
La réunion doit s’achever, Tsipras ne va pas tarder à ressortir. En effet le voilà, je filme mais il se fixera dans mon appareil tout en flou : aussi incertain que la situation … Le voilà donc parti retrouver ses supporters, nous faisons à pied le même chemin pour rejoindre l’université. En travers de l’avenue Stadiou, une simple rubalise interdit aux véhicules d’accéder au lieu du rassemblement. Un chauffeur excédé d’être bloqué passe sous la rubalise et accélère sur l’artère. Le flic posté là l’interpelle :
« tu vas prendre mille euros et si tu t’arrêtes pas c’est la tôle ! »
« Je m’en fous ! »
C’est Yannis qui me traduit l’échange. Le flic grimpe alors sur sa moto, fonce à toute berzingue et nous les retrouvons un peu plus haut : le chauffeur est sorti de sa voiture, il est entouré d’uniformes. La discussion entre eux a déjà commencé lorsque nous arrivons à leur hauteur, Yannis m’explique que le type dit aux flics qu’il n’aura pas de problèmes car il connaît du monde… Voilà l’impunité qu’assure le clientélisme … Yannis fait remarquer en souriant qu’il connaissait peut-être du monde dans l’ancien gouvernement … mais est-ce que ce genre de comportement va changer si facilement ? Nous les laissons et continuons vers l’université. Yannis marche lentement, il a pris des coups de matraque le mois dernier à Barcelone. Son emploi du temps est très chargé, il dort peu et travaille beaucoup, souvent dans l’urgence ou dans le stress. Je le trouve plutôt modeste, presque timide même si sa parole s’exprime avec force dés qu’il se lance sur un sujet. Son travail est précieux, son engagement aussi, ses analyses sont pertinentes et même si tout cela le fatigue à force d’accumulation il reste accessible, attentif et disponible.
Alors que nous nous mêlons à la foule heureuse qui s’est réunit là pour fêter la victoire, Yannis achète dans la rue deux fioles de Tsipouro, des cacahuètes pour lui et un sachet d’amandes qu’il me tend : fêtons ça nous aussi ! Nous déambulons parmi les gens heureux qui sont là. Comme on est arrivé après l’intervention de Tsipras, Yannis se renseigne et on lui répond qu’il n’a presque rien dit, cela a duré quelques minutes à peine à l’issue desquelles Tsipras à donné rendez-vous à tout le monde dès lundi dans les luttes. Qu’aurait-il pu ajouter dans ce contexte de victoire incomplète ? Le nombre de sièges acquis reste inconnu 149 ou 150, les négociations en vue d’une alliance sont en cours, le leader de Syriza ne peut que remercier avant de retourner au charbon pour tenter de former un gouvernement. Il a trois jours pour cela, sinon il faudra revoter. L’heure n’est donc pas encore au soulagement et à la joie …
Autour de nous, comme jeudi dernier sur la place Omonia, il n’y a pas cette foule compacte ni cette liesse populaire que l’on pourrait s’attendre à trouver dans la rue après une victoire si exceptionnelle. Il y a du monde bien sûr mais pas tant que ça. On croise par contre beaucoup d’étrangers : Finlande, France, Italie, Portugal et Espagne sont représentés par des drapeaux, des pancartes. Une fois encore cette victoire semble avoir plus d’impact sur l’imaginaire des peuples européens que sur celui du peuple Grec.
Il est tard mais Yannis doit repasser au Nosotros, je l’accompagne. Nous nous faufilons dans les ruelles d’Exarcheia que l’université borde et délimite, pour rejoindre l’immeuble dans lequel règne un calme qui là aussi contraste avec la portée apparente de l’événement. Pablo et quelques ami-es scrutent tout de même un écran d’ordinateur sur lequel sont affichés les résultats, toujours pas définitifs. Ont-ils voté ? Oui, pour être sûr que s’installe pendant quatre ans un climat social propice aux changements qu’ils portent eux-mêmes depuis des années. La conversation s’engage grâce à Yannis qui traduit ou invite l’un ou l’autre à s’exprimer en français. Là aussi on explique que Syriza n’a pas vraiment de base populaire. Les grecs sont fatigués. Mais l’arrivée au pouvoir d’une coalition de la gauche radicale devrait quand même améliorer les choses et du moins ici au Nosotros on ne boude pas cette victoire.
Maintenant il va falloir voir quelles mesures seront appliquées pour soulager le peuple. Nous buvons une bière et l’heure tourne. Yannis doit encore écrire un article avant le lendemain matin, il reçoit un coup de fil de Vangelis qui le loge et le prévient qu’il arrive pour lui donner les clefs. Nous quittons le Nosotros et rejoignons Vangelis dans la rue. Ce dernier insiste pour m’inviter à boire un dernier coup avec des ami-es dans un bar non loin de là. J’accepte et c’est là que je dis au revoir à Yannis que je ne reverrai pas avant mon départ, demain. Je le remercie chaleureusement car cette rencontre – que j’espérais bien avant de partir – a donné une profondeur à ma venue. La qualité de nos échanges sur la consommation, la philosophie et l’imaginaire ; ses précieuses traductions sur le vif ; sa bienveillance m’ont permis de mieux comprendre ce qui se passe ici en allant plus loin que je n’aurais pu le faire seul sans maîtriser cette langue grecque.
Je suis donc Vangelis et nous entrons dans un bar où l’attendent Maria, architecte qui vit et travaille sur une des nombreuses îles grecques ; un grec qui vit en Belgique, militant actif du KKE le PC grec : il confirme une grande partie des analyses précédentes : manque de base populaire à Siryza, nombreux abandons de mesures phares du programme ayant conduit à un éloignement de sa frange la plus à gauche, désintérêt relatif des grecs pour ces élections. A sa droite une jeune femme et en face une autre que Vangelis me présente comme étant révolutionnaire car son père est une figure de gauche mais qui se contre-fiche de ces élections. Elle sirote sa vodka avec un sourire de Joconde. Je commande un verre de vin rouge. La discussion s’anime : Maria me raconte son île et son travail, Vangelis est allé en France il adore la cuisine française et me demande comment réussir à faire du bon pain français. Je souris. Je connais bien quelqu’un qui lui en dévoilerait les secrets mais il faudra qu’il vienne au Mas d’Azil pour mettre la main à la pâte …
Nous buvons, nous parlons en espagnol, en anglais et un peu en français jusqu’à 3h30 environ alors que défilent dans nos oreilles les Doors, Iggy Pop, les Clash… Peu à peu nos échanges se décousent, je sens qu’il est temps d’aller me reposer un peu. Nous nous saluons, Vangelis et Maria demanderont mon contact à Yannis pour échanger encore par mail. Je baise la main de la buveuse de vodka, toujours planquée derrière son sourire mystérieux : « pour la princesse ! » s’exclame Vangelis .. Oui, un baise main pour la princesse…
Je rentre heureux et c’est sans me perdre ni encombre que je rejoins Kamateroy.
Lundi 26.01_environ 16h
L’avion a décollé. J’ai pu constater à mon réveil en allumant la télé qu’officiellement ça y est on sait que Syriza n’a pas de majorité absolue. Les résultats définitifs lui donnent 149 sièges. Mais il faudra que j’attende d’être dans l’avion pour avoir plus de précisions. La jeune femme assise de l’autre côté de l’allée lit un journal grec. Je m’adresse à elle en anglais pour lui demander avec qui Syriza va pouvoir s’allier selon elle ? Elle me répond que l’info est encore au conditionnel dans le journal mais elle l’a entendu confirmée à la radio avant de partir : Syriza s’allie avec le parti des Grecs Indépendants (Anexartiti Ellines) et son leader Panos Kamenos obtient le ministère des affaires maritimes ainsi que l’assurance que le sujet de la séparation de l’église et de l’état ne sera plus abordé pendant les quatre ans à venir, ainsi que le maintient du nom de la région de Macédoine : une salade régionaliste qui, je l’avoue, m’échappe.
La non séparation de l’église et de l’état avait déjà été évacuée du programme et le ministère des affaires maritimes n’est pas un poste clef : les concessions accordées ne semblent donc pas beaucoup remettre en question la politique prévue par Syriza. Maintenant, il serait intéressant de connaître les premières mesures qui seront prises par le gouvernement qui a été formé cette nuit. Hier soir, Yannis me relayait que de nombreuses voix issues des différentes gauches radicales européennes et françaises espéraient des annonces fortes et symboliques capables d’alimenter encore la mythologie du changement, faire gonfler l’espoir et soutenir l’élan qui pourrait les faire eux-mêmes décoller.
Tsipras cèdera-t-il à ce story-telling européen gauchiste ?
Ou bien, en bon pragmatique annoncera-t-il des mesures sociales de première nécessité pour soulager les grecs dans leur quotidien ? Il a tout intérêt à soigner d’abord cette base populaire qui lui fait défaut, avant de jouer le jeu attendu par la gauche- une gauche tout à coup réveillée par cet électrochoc et très désireuse de surfer à son tour sur la vague mauve. Il doit aussi s’atteler à la renégociation de la dette avec l’Europe …
La jeune femme qui m’a renseigné tout à l’heure lit à présent un journal français … le français omniprésent chez les grecs cultivés ...
se sera plus simple pour échanger… Je lui demande donc si les premières mesures ont été annoncées. Oui : relèvement du smic de 510 à 750 euros, couverture sociale élargie et gratuite pour les chômeurs, relèvement du seuil d’imposition de 5000 à 12000 euros/an, annulation de la loi sur la taxe foncière, électricité gratuite pour les plus modestes, distribution de coupons-repas … voilà de quoi rassurer et soulager enfin une population à bout de forces.
Quand à la dette, il demande une révision du taux d’intérêt à 1% au lieu des 6 ou 7% criminels ainsi qu’un moratoire de 5 à 10 ans pendant lesquels la Grèce ne paiera rien pour laisser le temps à son économie de repartir et se stabiliser. Elle m’explique que tout comme de nombreux passagers de l’avion elle est venue spécialement de France pour voter. En effet, les grecs expatriés ne peuvent pas voter au consulat par exemple, une loi impose une présence physique pour participer à la vie politique du pays.
Et comme lors des dernières élections, ratées de peu par Syriza, elle n’était pas venue, cette fois elle et d’autres – ceux qui en ont les moyens – ont fait le déplacement. Un homme plus âgé intervient. Il est président de l’association phonie-graphie, association pour la promotion de grec moderne en France basée rue Sedaine à Paris. Il n’était pas venu en Grèce depuis quelques temps et il a trouvé ses compatriotes très fatigués, épuisés, lassés par des années de réelles difficultés. La joie viendra peut-être plus tard me dit-il, quand la ‘situation humanitaire en Grèce’ se sera améliorée …
Il est 17h40, nous volons à 720km/h à une altitude de 1400m, dehors il fait -50°.
L’avion va entamer sa descente vers l’Aéroport Roissy-Charles de Gaule. Je griffonne encore quelques phrases sur mon cahier à spirale, puis je me prépare à retoucher terre. Ces quatre jours furent denses et m’ont ouvert de nombreuses portes sur des terrains familiers quoique inconnus. La lutte et l’éveil des peuples se poursuivent dans quelques jours à Madrid où une manifestation est prévue à l’appel de Podemos sur la Puerta del Sol ; Yannis viendra présenter son film en Ariège fin février.
j’ai très envie d’écrire à Vangelis et à Lysandra pour entretenir des amitiés naissantes.
David VIAL – 28.01.2015
[NDA août 2025 : c’est donc bien sur mon invitation que Youlountas est venu présenter son film au Mas d’Azil - graĉe à la complicité de Philippe Fréchet et la PUPAL : Petite Université Populaire Arize Lèze. Je le précise car cette projection avait fait venir beaucoup, beaucoup de monde des environs, un public très excité par le caractère subversif de ce film sur les anarchistes grecs ; or c’est ce même public - des mêmes environs - qui quelques années plus tard a magistralement méprisé, calomnié, pourri et isolé l’installation - dans ces mêmes environs - de la bibliothèque du Pic Noir car ... anarchiste et porté par un dangereux individu : moi -même ... (mdr) ; et oui - tocardEs ; on n’oublie pas tout cela facilement. Et une fois de plus cette péripétie a pu mettre en évidence l’hypocrisie détestable de cette petite bourgeoise si prompt à fantasmer sur la révolution - ailleurs - et incapable de soutenir des initiatives qui bousculent un entre-soi sectaire, bourgeois, arrogant et lâche. Ce sont toutes ces petites trahisons des gôchistes locaux/nationaux qui ont fait le lit de l’extrême droite ces 10/15 dernières années ; ce sont d’ailleurs les mêmes qui ont voté pour faire "barrage" ... TOCARDeS.]
* : extrait du livre « Exarcheia la noire », de Yannis et Maud Youlountas paru aux éditions libertaires.
** : désolé, transcription phonétique seulement du début de l’été indien : « On ira, où tu voudras quand tu voudras et on s’aimera encore lorsque l’amour sera mort. »
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4 février 2015
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biblio pic noir
Du rôle des jolies femmes dans la révolution à venir …
Sans doute savez-vous maintenant que le monde court à sa perte, que la planète est en danger, que rien ne va plus sous le soleil naturel ? Sans doute avez vous eu écho de quelques crispations sociales récentes, sans doute savez-vous que le système tel qu’il tourne fonctionne mal et qu’il va bien falloir en changer. Pas de méprise, c’est du système industrialo-capitalistico-financiaro … dont je parle : une machine infernale qui oeuvre depuis plus de deux siècles à piller les ressources naturelles de la planète là où elles sont, au mépris des peuples autochtones et de l’environnement, pour les transformer, ou plutot les faire transformer, par les salariés en produits de consommation que ces memes salariés sont priés d’absorber … voilà le grand, l’immense projet occidental hérité des lumières et tombé aux mains des vilains …
Bon, comme aujourd’hui on arrive au bout de certaines ressources et que le commun des mortels commence à comprendre de quelle manière il se fait floué, un grand blues accable le pékin moyen teinté de révolte et c’est normal, il est grand temps que l’on s’oriente vers un projet de vie en commun plus en phase avec l’air du temps … dans ce contexte de transition latente, de temps suspendu avant que ne se redessine une image cohérente d’un futur pour l’humanité, tout est envisageable, tout est possible, tout est imaginable …
Imaginons donc quel pourrait être le rôle des jolies femmes dans ce contexte. Et attention pas de méprise là non plus, je ne range pas les femmes en deux colones : les jolies et puis les pas jolies ! Rien n’est stable et toutes les femmes sont jolies ou peuvent l’etre au cours de leur existence. Une femme jolie sera dans ce cas présent une femme qui peut-etre : belle, gracieuse, mignonne, … parfois elle rayonne de bonté, de bienveillance et de force mais surtout elle rassure et encourage, elle console et stimule, elle protège et pousse au dépassement.
Ces jolies femmes là, de tête, de coeur et d’esprit sont très prisées des hommes, je le sais j’en suis un ! C’est le genre de femmes qui pousse les hommes à s’affirmer, à s’épanouir, à rayonner à leur tour. Car c’est la femme qui fait l’homme… cette chose est évidente : de par la nature physiologique de l’accouchement d’abord : c’est bien la femme qui fait l’homme. Mais on sait aussi quelle importance ont les femmes dans la vie des grands hommes qu’ils soient artiste, scientifique, roi ou sage … et bien chez les petits hommes c’est la même chose : c’est toujours la femme qui fait l’homme. Quand un homme se sent aimé d’une femme il se sent fort, sûr de lui ; rejeté c’est un homme qui doute, qui trébuche et se heurte au monde. Quel que soit son âge, son statut social, son métier, riche ou pauvre, sa taille ou son poids, sa couleur ou sa langue, … un homme ne peut se réaliser et réaliser (de grandes choses du style : théories, utopies, oeuvres d’art ou juste bricolage ménager) sans être aimé, ou chercher à être aimer d’une de ces jolies femmes.
On peut aisément déduire de ce raisonnement rapide certe mais limpide, que ce sont les jolies femmes qui dirigent le monde. Et oui ! Les hommes tentent de faire les intéressants, ils s’inventent des théories conspirationnistes, des complots politico-ésotérique, des gouvernements fantômes … tout cela n’est rien face à la puissance des jolies femmes. Elles sont partout et ce sont elles qui tirent les ficelles … Comment s’y prennent-elles ? C’est inconscient bien sur, elles ne le font pas exprès et voilà bien là la clef ! : cette prise de conscience par les femmes de l’influence de leur choix de vie (et d’amoureux) sur l’ensemble de la biosphère. Alors, et voici toute empreinte de gravité ma proposition pour sauver le monde et l’univers : mesdemoiselles, mesdames, renoncez au mode de vie blingbling, ne vous laissez pas embobiner par la monnaie, la starisation, la standardisation, l’artificiel et préférez l’intelligence, la créativité, l’originalité, le naturel et la sincérité de votre partenaire …
notre avenir à toutes et tous en dépend ! D’avance merci.
david vial 14 octobre 2010
