Cycle Ennoïa
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popularité : 11%
première publication web : 7/11/2008
parution papier dans le recueil "dernier vol"
ISBN 978-2-9517237-0-2
Cycle Ennoïa
L’ourson la mort -
« Pourquoi veux-tu partir ? Elle pose sa tête contre son épaule. - Il faut que je parte. Je t’avais prévenue. » Cela fait maintenant trois mois qu’il est avec elle, dans cette petite ville du bord de mer. Trois mois qu’ils ont passés à nourrir leurs sens, à se fabriquer des souvenirs. Aujourd’hui, il sait qu’il n’a plus rien à faire ici. Cela fait déjà quelques années qu’il traîne cette vague lassitude. Toujours en fuite ou en quête. Il a besoin de partir. « Tu reviendras ? Non, je ne crois pas. » Elle le trouve froid et distant. Sans doute est-elle déçue. Pourtant il lui avait dit, quand ils se sont rencontrés, que ce n’était pas son genre de s’attacher. Elle n’avait pas tenu compte de ce détail, elle ne l’avait pas cru. Ou alors elle pensait le garder, elle croyait savoir le retenir. « Tu pars quand ? Demain peut-être, je ne sais pas. » Sa décision est prise, le moment est venu, il sait que rien ne pourra le retenir. Même s’ils se frôlent, si elle l’attire et qu’ils font l’amour, ce sera la dernière fois, voilà tout. Le lendemain il s’éveille tôt. Comme chaque matin il boit son café seul, avec sa première cigarette. Il a besoin de ce réveil solitaire qui conditionne son humeur pour la journée. Ce jour là s’annonçait bien. Elle se réveille en sursaut alors qu’il traverse la chambre pour aller se raser. Elle a mal dormi ; de ce sommeil agité propre aux enfants qui savent que quelque chose d’important les attend le lendemain. Mais après tout, est-ce si important ? Aucun des deux ne parle jusqu’à ce qu’il ait fini de rassembler ses affaires. « Je t’accompagne dehors. » finit-elle par lancer. Il met son sac dans la voiture du côté passager et l’embrasse. « Tu m’en veux ? Non, j’aurais juste aimé que tu restes plus longtemps. Tiens, je te le donne. Accroche-le au rétro. » C’est un ourson en peluche comme ceux que l’on gagne dans les fêtes foraines, au jeu des pinces d’acier. Il n’est pas très beau mais il l’accepte. Pour lui faire plaisir. « Salut. Salut. Bonne route. » Il monte dans la voiture et démarre doucement. En jetant un coup d’oeil dans le miroir intérieur il remarque son visage. Un visage grave au sourire défait qui parle d’abandon, de lassitude. Puis son regard glisse sur l’ourson et retrouve l’asphalte. Il est content de partir. Pas de quitter cet endroit et cette fille, mais juste heureux d’aller ailleurs. Il roule doucement, il a le temps. Le paysage est gorgé de soleil : il a chaud et se sent bien. Il allume une cigarette, met la radio et décide de prendre la direction de l’ouest.
Quelques heures plus tard, un touriste trouve la vieille Peugeot, au fond d’un ravin. Les gendarmes viennent mais ne peuvent que constater le décès du chauffeur. Une chose pourtant leur parait étrange : l’homme qui gît là a un bras arraché, des traces de griffes et le corps lacéré. La seule explication plausible vient à l’esprit d’un jeune gendarme : selon lui, cet homme défiguré n’a pu être attaqué que par un ours, un ours énorme.
Ennoïa les retrouvailles -
Elle marche dans la rue. Seule. Il fait chaud, très lourd. Nous sommes à Toulouse, rue Pargaminières. Trottoir de gauche si l’on tourne le dos au Capitole. Elle est heureuse. Elle marche lentement pour ne pas transpirer. Elle a tout son temps. Sans raison précise elle sourit. Du regard elle aborde les passants : certains le fuient, d’autres l’accueillent car elle est mignonne aussi. Parfois dans cette rue, le trottoir se fait tout petit et qui plus est des voitures s’y garent, mal. Si bien qu’à un moment, elle est obligée de descendre sur la chaussée. Elle se colle aux autos en stationnement pour éviter les autres en mouvement. C’est alors que face à elle arrive un jeune homme dans le même cas. Ils s’arrêtent, un peu embarrassés. Son regard à elle, plonge dans le sien alors elle fouille. Elle fouille et donc elle trouve. « On se connaît ! » s’exclame-t-elle. Lui, interloqué mais charmé d’être abordé sourit. « Non, je ne crois pas. Mais si. Vous êtes né le 27 mai 19.. à Royan. Vous avez 36 ans. Votre prénom est Antoine et votre nom Renam. Vous habitez non loin d’ici, rue des Lois, au numéro 18 dans un appartement que vous louez depuis neuf mois. Votre couette est bleue. Aux murs il y a des affiches de films, des photos noir et blanc, quelques-unes sont en couleurs. Sur votre bureau, une lettre adressée à votre frère reste inachevée. Par terre traînent plusieurs disques et au pied du fauteuil se trouve un livre de Borges, ouvert à la page 144. Vous manquez de café et sans doute aussi ... de distractions. » A cet instant, le flot de voitures cesse. Elle continue donc sa route laissant là le jeune homme coi. Il y reste un long, un très long moment. Il ne l’a pas reconnue. Quand il se décide à bouger, à courir pour la rattraper, elle a disparu. Il ne l’a pas reconnue. En vain il court, en vain il erre. Lui ne l’avait pas reconnue ; elle c’était Ennoïa.
Léa et lui la vie -
La maison est grande ; en bois. Une terrasse sur pilotis couvre l’eau. Le lac est spacieux. On a du mal à en voir le bout. Un vent insistant forme des vaguelettes piquantes. Les arbres perdent leurs feuilles. Le sol de la terrasse est humide, un peu glissant. Les montagnes enlacent le lac sans l’étouffer. Une large plage de ciel domine l’horizon. Les nuages sont beaux, bas ; moutonnants et luisants. La maison est vide. Léo est sur son bateau. Sur l’eau. Pas très loin et pourtant bien ailleurs. De l’étage, on aperçoit la petite voile qui se découpe sur le ciel, ou sur les arbres rouges et jaunes. Quand le repos n’est plus possible à terre, Léo charge son bateau et disparaît plusieurs jours sur le lac. Il mouille à quelques encablures de là, indifférent. Car quand le monde lui pèse, seule la solitude l’apaise. Alors il part. Pourtant, il n’y a que Léa et lui ici. Dans cette maison. Loin de tout, de tous. Mais il doit embarquer sur son voilier pour s’isoler. Il ne part pas pour d’autres lieux, d’autres mondes plus agréables que le leur. Il se contente de parcourir son univers en limitant ses déambulations à cette étendue d’eau finie, qui ne conduit nulle part.
Dans ces moments là, elle sait ce qu’est la solitude. Car c’est toujours lui qui part. Sans dispute ni ennui particulier, un matin tôt il lève les voiles et file vers le milieu du lac. Elle sait qu’elle n’a rien à voir là dedans. Elle sait qu’elle n’est pas fautive, pas coupable. Mais la solitude lui pèse et seul le monde l’apaise. Alors elle laisse Léo sur son vaisseau et part vers la ville, la foule. Elle réserve une chambre dans un hôtel animé puis déambule dans la cité comme Léo sur son lac. Elle cherche le contact, le rire, l’éclat, elle veut tout connaître, parler à tous, tout voir. Absorber le monde jusqu’à en faire une indigestion. Elle se laisse séduire, et pour quelques heures s’oublie, spectatrice clandestine de ce cirque flottant au fil du temps, elle en apprécie le spectacle bien décidée à y croire. Après quoi, lassée et étourdie, presque ivre et nauséeuse, elle quitte la ville. Son séjour n’aura duré que quelques jours mais c’est suffisant. Déjà elle a envie de retourner près du lac. De retrouver le calme et la simplicité. Le vent et le ciel. Elle veut à nouveau écouter et regarder ; être en paix et sentir le monde qui nous enrobe.