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Reflexions de fond(s) - publié en 2001

samedi 1er juin 2024, par dvial

reflexions de fond(s)
David Vial

EAN13 9782951723788
ISBN 978-2-9517237-8-8
Éditeur Éd. Key largo 2001

FOND(s) / FORME(s)

Je crois qu’il n’y a pas que cette réalité. D’ailleurs laquelle, chacun conçoit la sienne propre.

Pourtant, dans cette variété de FORMES il me semble distinguer comme une profon­deur, un FOND. Moins apparent mais liant tout. Ce fonds est fait d’images, d’effets, de métaphores, d’analogies, de liens, de correspondances et apparaît spontanément dans la poésie. Je ne parle pas des phrases bien tournées, plaisant aux dames lorsqu’elles évoquent le clair de lune enchanteur, de leur pure beauté. J’entends plutôt la poésie médiumnique décrivant une vision, un regard touchant directement le FOND. Souvent, cette poésie spontanée se colore d’images absurdes, cocasses, étranges et fortes. Parce qu’elles révèlent en nous quelque chose d’enfoui et commun. Une matière subtile : ce fonds. Les peintures du FOND sont variées, et les MYTHES véhiculés par les mythologies et les légendes partout dans le monde en sont une autre. Là aussi, l’image est reine, les correspondances sont multiples, les combinaisons complexes. Toutes ces métaphores mythiques sont des variations sur un même rythme, un même FONDS commun à l’humain.

Devant un vélo, je vois un vélo. Devant un vélo, je regarde ce vélo. Devant un vélo, j’observe les caracté­ristiques de ce vélo. Devant un vélo, j’apprécie l’esthétique de ce vélo. Devant un vélo, je devine la symbolique de ce vélo.

Et ce vélo devient Mercure, image du messager gouvernant les voyages courts, porteur de nouvelles ; Mercure, maître du Gémeaux, signe double souligné par la symétrie parfaite d’un vélo, hormis la dynamo pour éclairer et la sonnette pour exprimer…

Cela a-t-il un sens ? Et si oui LEQUEL et POURQUOI et COMMENT ? En réalité, je pense que la vraie question est POUR QUI ? Cette profondeur n’est pas apparente. Pourtant, c’est une idée concevable.

On sait par exemple qu’à l’échelle, au chat noir, au chiffre 13 sont associées différentes images, qualifiées de superstition. Il n’est pas prudent de prendre au pied de la lettre ces images suggérées. On peut noter cependant qu’à ces objets particuliers on associe autre chose que leur sens commun ; certains mots proposent parfois un deuxième sens, un double-FOND. Nous le devinons, le décelons, puis chacun décide d’en tenir compte ou pas. Autre exemple : on dit de quelqu’un qu’il dort « comme une souche ». L’objet souche à priori ne dort pas. Et on ne dit pas « il dort comme une brique ». Il existe donc bien quelque chose, un sens, que la souche a et que la brique n’a pas. Ce quelque chose, même si le lien est difficile à retrouver est bien là. Et il est commun à un groupe d’individus. Inscrit dans un patrimoine culturel.

Nous voyons donc comment les métaphores et les superstitions renvoient à un fonds, commun à un groupe culturel.

Mais si l’échelle et la souche sont reliées à ce fond par un lien imagé, pourquoi le vélo ne le serait-il pas ? Si moi je le vois ce fond. C’est à dire si je décide d’y voir plus qu’un vélo et que je cherche à quoi le relier. Choisir pour hypothèse que ce fond(s) existe bien, dans tout ce qui m’entoure, dans toutes les situations que je vis, dans toutes les personnes que je croise, dans ce que je rêve même, qui peut m’en empêcher ? C’est la liberté absolue. Elle ne nécessite aucun espace, aucun moyen ; elle est dans ma conception du monde.

Bien. Mais la tâche est ardue et pleine d’embûches. Car encore faut-il connaître les images sensées – les symboles – pour les reconnaître. Cela demande du temps, de la patience, de la persévérance. S’appliquer à lire les mythes, mythologies, contes et légendes du monde entier et aussi les livres fondateurs, les livres dits saints, les traités de cosmogonie ; étudier l’histoire des hommes, celle des religions et des sciences, pratiquer la philosophie. Toutes ces connaissances regorgent de métaphores, d’images choisies et croisées. Parallèlement, il s’agit de recouper les différentes versions jusqu’à en obtenir la substance ; trouver – ou choisir, ou sentir – la bonne interprétation de tel signe particulier. Après l’analyse, la synthèse. Une fois capable de reconnaître les symboles, c’est l’observation et l’attention qui permettent de repérer autour de nous, ce qui ressemble à une allégorie, renvoie à un mythe. C’est aussi un jeu passionnant.

Parmi la multitude des FORMES qui peuplent notre monde, certaines sinon toutes, révèlent un sens caché, un lien secret qui conduit au symbole. C’est à ce jeu que s’essaient tous ceux qui tentent de comprendre la réalité. En se nourrissant de FORMES.

La FORME est à la fois la source du sens, et l’expression du fonds dont elle fait partie. Elle est le signal physique que choisit le fond pour donner à nos sens l’impression de le toucher. La réalité matérielle dans laquelle nous existons est la somme de toutes ces FORMES. Mais il ne faut pas oublier qu’elles sont comme l’habit que prend le FOND pour se présenter à nous.

Depuis quelques années, on constate que les FORMES se multiplient, se génèrent les unes les autres et se combinent en constructions de plus en plus complexes. Elles se diversifient, enrichissant toujours plus ce fonds commun à l’humain. Et la réalité semble toujours plus indéfinissable. Pourtant, le FOND demeure. Sa structure simple se confond avec la trame, toujours plus serrée, mais il est là comme une braise encore allumée sous toujours plus de cendre.

FOND : Ce qui fait la matière, l’essence d’une chose, par opposition à la forme. Ce qu’il y a de plus caché, ce qu’il y a d’essentiel. fonds : Dans une bibliothèque ou un musée, ensemble de livres, d’oeuvres d’art de provenance déterminée.

Petite provocation, pour réagir. (petite vocation, pour agir)

Vous avez peur. Et tout d’abord de la mort. Ou plutôt de perdre la vie. Car vous détestez perdre. Et vous croyez communé­ment que mourir c’est perdre. Du coup, même dans votre quotidien vous avez peur de perdre. Perdre une situation ou de l’argent ; peur de perdre la face, d’être dominé, ridiculisé ou roulé. Dans certains pays, notamment en Afrique, on ne considère pas les escrocs comme des malfaiteurs. On estime que celui qui s’est fait roulé n’avait qu’à être plus attentif, plus prudent. L’escroc riche est donc un homme respectable qui raconte ses exploits au café. Le pigeon qui se plaint est moqué, en général il se tait. Cela peut nous paraître choquant. Ici, si un pigeon est floué il court aussitôt le raconter à l’autorité qui se chargera de retrouver, puis de punir l’escroc. Cela présente certaines analogies avec l’enfant moqué qui va se plaindre à la maîtresse. Celle-ci intervient, gronde le vilain camarade et réconforte le pauvre petit qui pleure. C’est très bien. C’est l’attitude convenable à adopter avec des enfants. Mais avec un adulte, cela ne devrait-il pas être différent ? Un enfant est considéré comme non responsable. Pas encore conscient de la portée de ses paroles et de ses actes. Il est sans doute bon de l’aider à en prendre conscience. Mais l’adulte, qui prétend être libre et responsable devrait savoir que les mots sont comme du papier dont on se sert pour emballer les pensées.

Et celui qui propose, par exemple, un bénéfice important en peu de temps, qui demande à son client de lui confier tout son pécule pour lui faire profiter pleinement de cette offre avantageuse : celui-là que cache son papier brillant ?
Je veux dire que les occidentaux – maîtres du monde – sont des enfants qui refusent de grandir, d’être responsables ; de mourir finalement. Nous avons inventé la société pour nous rassurer. Ce qui déplaît – ou effraie la majorité des individus, c’est d’être totalement, absolument, libre et responsable. De chacun de ses actes, de chacune de ses paroles, de chacune de ses pensées. (C’est d’ailleurs ce que propose l’anarchisme à l’origine de l’idée, car aujourd’hui le mot est usé.) Mais dans le même temps, beaucoup refusent de l’admettre. Ils refusent d’être dominés, c’est à dire qu’il y ait un ordre hiérarchique avec des au-dessous et des au-dessus. Sinon, à quoi bon la dernière révolution, car c’est bien à faire tomber cette tête au-dessus d’eux qu’elle a servie. Du moins symboliquement. A la place, c’est le peuple qui décide. Moins de 3o % de la population totale d’un pays élit un représentant qui sera au-dessus d’eux mais censé parler au nom de tous, et agir pour l’intérêt de tous. Est-ce le cas, est-ce ce que font nos élus ? Tout cela n’est qu’une mascarade. La majorité des gens refusent d’être libres et responsables. Ils souhaitent ardemment qu’on les protège, qu’on les soigne, qu’on les enrobe de confort, qu’on les flatte, qu’on les rassure, qu’on les distrait. Ils veulent rester des enfants et s’en remettre à la mère patrie, à la république ou à l’internationale …

A ce jour, comme pour évoluer, pour que continue l’évolution humaine, l’individu est de plus en plus isolé. Peut-être pour qu’il retrouve son temps, qu’il réfléchisse, qu’il réagisse et prenne sa place sensée dans le rythme du monde. Cet isolement est le résultat de l’éclatement des familles, des entreprises, … Ces sous-groupes ne sont plus essentiels puisque nous sommes tous citoyens (pas tous !…) bien au chaud (pas tous !…) dans le groupe ou la société. Et bientôt, ces sous-groupes que sont les pays seront obsolètes puisque nous sommes tous humains, bien nourris (pas tous), sur notre planète Terre, dans notre système solaire à nous. L’évolution est en marche. L’individuation est à l’ordre du jour, tout ce que nous avons fait depuis la révolution industrielle nous y conduit.

Si finalement, comme je le pense, nous sommes humains, tous humains sur la planète Terre. Et que nous vivons ensemble dans un environnement fragile en symbiose avec des milliards d’espèces d’êtres vivants, il va bien falloir admettre que nous sommes voués à grandir, à mûrir, à devenir adultes, libres et responsables de cette planète. Nous ne pourrons pas rester des enfants dans nos confortables sociétés modernes. Il faudra bien que l’humain – maître du monde – occidental, celui qui a le plus de pouvoir sur la Terre prenne conscience qu’il est arrivé à maturité, qu’il doit se comporter en adulte responsable et conscient.

Je crois que la peur, l’effroi diffus qui gagne nos sociétés évoluées vient d’un très vieux rite de passage à l’âge adulte marqué par une épreuve. Cela a un sens. Cette évolution de l’enfant-humain à l’adulte-humain sera sans doute liée à une épreuve. Une épreuve touchant les humains les plus enfantins, les plus irresponsables. Mais la confiance doit régner en paix. Car l’épreuve n’arrive que si nous avons les connais­sances, les facultés de la passer sans dommage. Si c’est le contraire qui se produit, c’est sans doute que l’hésitation, le manque de confiance ont masqué ou troublé l’âme. Alors il y a chute, involution, péril. J’ai confiance en l’être humain, l’occidental judéo-chrétien grecquo-Rennaissance teinté de Lumières et de révolution industrielle n’est pas irremplaçable. Cela ne m’effraie pas. Cela m’indiffère. Les Egyptiens, les Romains, les Chrétiens, les Américains se succèdent ; et demain les cybernautes, les présentateurs télé ou les bourgeois-bohème se croiront au centre du monde et de l’univers. Foutaise et carambouilles : j’assiste au spectacle et m’en fais le témoin.

Passage à l’acte

D’un certain point de vue, nous passons de l’état humain à l’état divin.
De mystérieux pouvoirs se démocra­tisent, se popularisent : . lumière artificielle, conversation à distance, vol libre, déplacements à grande vitesse, vols hors-atmosphèriques ; . nous manipulons la matière à loisir ; . nous créons des êtres vivants ; . nous concentrons des énergies phénomé­nales, capables d’anéantir le monde. Les humains seraient-ils finalement les dieux de la Terre ? Maîtres de son destin, de son devenir, seuls responsables de la suite ?

Depuis peu, Dieu est mort nous a annoncé Nietzsche. Alors il n’y a plus aucune autorité supérieure, plus aucun père protecteur. Et nous sommes bien seuls. A présent libres de faire, de faire le bien ou de faire le mal. Mais s’il n’y a plus rien au-dessus, pour nous surveiller ou nous protéger, qu’y a-t-il donc au-dessous, à surveiller et protéger ?

Peut-être tous les autres représentants de la vie sur la Terre : plantes et animaux, insectes et oiseaux, bonobo et papillons. Et si, selon l’évolution naturelle de la vie, ces animaux ont un début de conscience ; si, comme nous, ils sont sensibles aux phénomènes qui leur échappent, nous devons être leurs dieux. En eux doivent s’ébaucher des mythes dans lesquels nous prenons la place de dieux multiples et facétieux, ou sanguinaires, vengeurs, aveugles et redoutables. Et alors, ces dieux et déesses décrits dans les mythes humains sont à l’image de ce que nous pouvons être aujourd’hui pour certains animaux doués d’un début de raison. Demandons-nous quelle sorte de dieux nous sommes pour eux. Sommes-nous protecteurs, tout amour et bonté, comme nous voulions qu’un dieu soit avec nous ? Ou ressemblons-nous plus aux dieux grecs et romains, dont les histoires sont faites de trahisons, de viols, de quête de pouvoir ; de quiproquo et d’incompréhension, de manipulation, de poison ?

Je pense que l’humanité a inventé des dieux, puis un dieu, pour fixer l’image parfaite de sa spiritualité. Comme un but à atteindre, un état d’être humain conscient. Un modèle d’humanité projeté dans l’avenir. Pendant des millénaires, ces modèles se sont déclinés sous toutes les latitudes, sur tous les rythmes. Et partout, c’était un état inaccessible, un monde divin. Aujourd’hui, nous sommes ces dieux là. Maîtres du destin de la Terre et des êtres qu’elle porte. Nous, les humains. Il est temps de réconcilier les tribus originelles, d’établir un gouvernement humain capable d’administrer le monde. Il est temps de s’entendre et de penser au déroulement futur du fil de l’histoire. Nos sujets : minéraux, végétaux, animaux ; les déserts et les courants marins, la couche d’ozone et l’arctique, les panda et les sauterelles, les forêts et les nappes d’eau, monsieur Gulf Stream et madame Méditerranée, tous sont suspendus à nos lèvres attendant de savoir s’ils seront condamnés ou protégés, attendant de savoir quel sort les humains ( ces grands enfants capricieux ) leur réservent.

La réalité dépasse la fiction

Agir sans se regarder, être sans se mettre à la place de l’autre, celui qui voit comment je suis, qui peut me juger, se moquer.
Notre corps est un contenant, un vase clos qui circule dans le monde, dans l’espace et le temps. Ce qu’il contient est appelé esprit, ou âme, je préfère conscience. La combinaison de ces quatre éléments : conscience, corps, espace et temps forme la réalité. Si l’un de ces quatre éléments vient à disparaître, la réalité disparaît. Le corps n’est pas tout à fait étanche, isolé du milieu ambiant. Cinq sens permettent à la conscience d’échanger des informations avec la réalité. Ces cinq sens sont associés à cinq organes :

. l’oeil qui transmet les ondes lumineuses et leurs variations de fréquences ; . l’oreille qui capte les ondes sonores et leurs variations de niveau ;
. le nez qui filtre l’air pour n’en garder que les particules odoriférantes ;
. les pastilles gustatives qui analysent la composition chimique des éléments absorbés ;
. la peau, sensible par ses nerfs à la température, à la pression, aux vibrations extérieures, …

La moelle épinière et le cerveau recueillent l’ensemble de ces informations. C’est là que la conscience les analyse, pour aboutir à une synthèse, une nouvelle information, résultat de l’opération de traitement.

Cette nouvelle information prend place dans un ensemble plus global d’ infor­mations qui doit à son tour être traité. C’est la tâche de l’inconscient. Car en plus des stimuli issus des données sensorielles, il doit composer avec les données corporelles internes, les émotions, les sentiments, la mémoire individuelle, les archétypes humains, et j’en oublie. La réalité apparaît donc comme un ensemble composite et non comme une donnée stable, définie. En définitive, chaque individu est le centre d’une réalité singulière qui est la sienne, et l’ensemble de ces réalités singulières forment ce que nous appelons la réalité.

Il ne faut cependant pas oublier que les humains s’assemblent par groupes. On peut regrouper les humains qui parlent la même langue, ou ceux qui pratiquent le même sport. Au sein de ces groupes, deux individus partageront un peu la même réalité.

Etant en effet nourris d’informations identiques, il en résultera des combinaisons ressemblantes. Ces deux individus, à priori s’entendront plus facilement car ils auront un ensemble de donnée communes. A contrario, des individus issus de groupes différents auront plus de difficulté à s’accorder sur une description du monde, car chacun sera tenté d’exposer sa propre réalité. Cela peut conduire à l’incompré­hension, au malentendu. Si l’on va jusqu’à mettre en contact deux individus issus de groupes humains antagonistes, le résultat peut aller de l’indifférence totale au combat acharné pour forcer l’autre à changer de réalité, ou au meurtre de l’autre pour que disparaisse sa réalité.

Il est donc impensable d’imaginer qu’il existe une et une seule réalité, une et une seule vérité. Les vérités ne sont que des tendances, façonnées par les différents groupes humains au fil du temps, et chacun a la sienne. Ses vérités sont véhiculées dans le temps et l’espace sous différentes formes :
. la science, qui propose une vision synthétique de la réalité matérielle,
. la religion, qui propose une vision prophétique de la réalité spirituelle,
. le politique qui propose une articulation pratique des deux.

Longtemps sur la Terre, ce sont les vérités religieuses du lieu et de l’époque qui influencèrent le plus le politique. Depuis trois siècles environ avec les prémisses de la révolution industrielle, on assiste à un renversement de cette tendance. La science a fait de tels progrès, permet de tels rendements, qu’on lui fait confiance, plus qu’à ces religions vieillissantes qui n’appor­tent rien et demandent beaucoup. Le politique se trouve être la proie de la matière et de ses dérivés. Ceux qui puisent cette matière à la Terre, ceux qui la transforment, ceux qui la transportent, ceux qui la consomment font la loi. Ils ne vivent que pour participer aux progrès de la science.

Depuis que l’homme sait que le vent n’est pas un dieu mais une vibration de l’air, il n’a plus peur du vent, il ne le craint plus et pour bien montrer sa toute nouvelle puissance, il le méprise. De même, l’humain méprise les animaux dont il n’a plus peur, il les avilit, les manipule ; de même, l’humain méprise l’humain dont il n’a plus peur, il méprise les chefs et les anciens, il se méprise lui-même. Tout heureux de cette nouvelle liberté de voir la nuit comme en plein jour, il confond le bien et le mal, tenant pour mauvais tout ce qui nuit à cette liberté de jouir du monde sans contrepartie, sans restriction. Puisque la Terre n’est pas dangereuse, on peut lui faire ce que l’on veut : elle ne réagira pas violemment. Ce que l’humain oublie c’est que l’absence de réaction violente n’est pas absence de réaction. Dans son obsession du résultat immédiat il tient pour non réactif ce qui ne réagit pas assez vite. Et il passe à autre chose, zappant sans cesse sans jamais être concerné. Ainsi, il est à prévoir que la Terre réagisse. Elle réagira par symptômes, comme un humain malade. Les symptômes seront de plus en plus visibles, de plus en plus évidents, mais aucun médecin ne prendra la responsabilité de faire passer cette idée du domaine de l’hypothèse gênante, à celui de l’urgence absolue d’agir pour que n’empire pas ce qui couve. Et puis quel remède appliquer ? Qui donc sait quel traitement nécessite ce genre de maladie ? La Terre est malade. A qui demander ? Au Soleil, à la Lune ?

Ou à chacun des humains qui l’occupent.

Retour d’Amsterdam

Pourquoi cette inquiétude plane-t-elle sur le monde ? Pourquoi Delphine la ressent-elle, comme Greg, comme moi et bien d’autres encore ? Par quoi est-elle liée à nous que nous ne puissions dénouer ? Disparaît-elle complètement avec le soleil ? Le soleil pris comme un ami, symbole de l’intelligence où la compréhension remplace l’appréhension. Plus d’inquiétude car plus de peur, plus d’inconnu, plus d’incompréhensible, plus rien que l’on ne puisse prendre avec soi, assimiler. Le monde, notre monde est complexe. Extrêmement complexe. Il ne l’a pas toujours été. C’est nous qui l’avons compliqué, le chargeant d’images symbo­liques multiples et contradictoires. Si notre réalité aujourd’hui, est compliquée, nous devons l’assumer. Il ne s’agit pas de la nier, ou prétendre ne rien y comprendre comme prétexte à l’inactivité ou à la consommation. En comprenant un peu mieux le monde et ses réalités, on peut en devenir acteur, actif, activateur. Sans être provocateur pour autant.

Ceux qui, lassés ou effrayés par tant de complexité décident de renoncer ; ou ceux qui prétendent qu’expliquer c’est déflorer, attenter à l’intégrité du monde qui est bien plus joli sans leçons à apprendre ; ceux-là s’enferment en eux et tentent d’imaginer un monde dans lequel ils se sentent à l’aise. Bien à l’abri dans leur amour propre, ils fantasment sur la réalité pour l’adapter à leur bien-être. Ils se placent au centre d’un monde qui est le leur, et qui s’en trouve un peu décalé, un peu arrangé par rapport à la réalité de référence, celle que nous partageons tous, celle qui nous englobe. Cliniquement, ces troubles sont nommés psychoses, paranoïa, mythomanie, … Ce sont des cas limites. Mais je suppose que chacun de nous est atteint d’un glissement de la conscience vers l’ego. Nous sommes tous atteint d’ego-centrisme. Après le géo-centrisme, remis en cause par Copernic, puis l’anthropocentrisme, tombé récemment grâce aux sciences de l’évolution, il s’agit aujourd’hui de passer le cap de l’ego-centrisme. Car rien n’est au centre de rien. Ni la Terre au centre de l’univers, ni l’Humain au centre de la création, ni l’ego au centre de la conscience. Dieu est mort et nous n’avons même plus ce refuge de l’ego ! Parce que si chacun s’enferme dans son ego pour y tisser une réalité qui lui convient, qui lui permette de survivre sinon de s’épanouir, alors dans quelques années il n’y aura plus aucune communication entre humains, que celles liées aux besoins, donc aux marchés.

Il faut donc se concerter, discuter ensemble pour imaginer, puis organiser et finalement construire une réalité commune, de référence, qui soit supportable par les plus sensibles, les plus fragiles. Si eux se sentent bien, cela veut dire que l’on est parvenu à créer un monde dans lequel une grande majorité de l’humanité se sent bien. Il n’y a qu’à se laisser porter, rythmer, emmener vers le doux, le subtil, l’intelligent, le facétieux, le libertaire ou libertin, le créatif, l’harmonieux, le beau, l’art et la musique, les sensations ténues et multiples, la variété, la tolérance, la recherche, la curiosité, l’ouverture, la mixité, la multiplicité, la richesse, l’abondance, la paix.

D’ici là, que ceux qui ont peur, qui ne sont pas rassurés par les caméras et les patrouilles, par les cris et les grincements de métal, par les machines et les tôles, par l’autoroute ou la nationale qui passe sous leurs fenêtres, par la centrale et l’usine d’engrais qui viennent de s’installer, ceux qui angoissent pour les fleuves et les forêts, ceux qui cherchent les étoiles à travers la pollution, ceux qui n’aiment ni les grosses bagnoles, ni les armes, ni les gros chiens, il faut que tous ceux là se fassent connaître.

Exprimons-nous, élevons nos voix. Prenons confiance car c’est sûrement cette voie qui est la meilleur. Inutile d’utiliser la force. Il faut créer. Récupérer son temps. C’est notre unique richesse. Réaccaparons notre temps. Cessons de produire des biens, cessons de vendre notre temps contre quelques gouttes d’énergie monétique.
Gardons-le pour nous et occupons-le à dormir, à rêver, à discuter ensemble, à réfléchir ou méditer seuls, à partager des repas, des moments, des aventures, consacrons du temps à nos enfants, nos parents, nos amis, occupons-le à aimer, à faire l’amour, à étudier, à construire et instruire.

Pourquoi ces activités sont-elles considérées comme mineures ou accessoires ? Alors qu’il s’agit bien de ce qui est le plus naturel à notre espèce. Pourquoi s’efforcer sans cesse de combler ce vide qu’est le temps libre ? Le temps est trop précieux, dit-on, pour se permettre de le perdre. Mais c’est justement cette occupation : perdre son temps, qui est la plus précieuse. L’Humain n’aurait-il pas peur, quand il a du temps, de retrouver sa conscience, chargée d’indécence. N’en auraient ils pas des angoisses ? Ou plutôt une angoisse. Une peur.

Cette peur qui touche de plein fouet ceux qui sont faits pour perdre leur temps. Pour l’occuper à jouer et à peindre, à converser et contempler, à s’émouvoir et s’intéresser. Eux ont peur. Ils se sentent peut-être coupables de ne pouvoir avouer cette tendance qu’ils ont à la rêverie ou l’observation, à la matière spirituelle plus qu’aux contingences de la matière. C’est sur eux que nous devons tous nous aligner. Si eux sont à l’aise pour être, s’ils n’ont plus peur, l’effroi diffus qui gagne notre civilisation disparaîtra. Il n’y a rien d’autre à faire que cela.

Pour terminer

Tout bien considéré, ce séjour aura été comme une invitation perpétuelle à l’observation. Je me pose en regardant, presque en voyeur. En retour, je ne refuse pas d’être vu, regardé, je suis même prêt à sourire si je croise des regards. Mais il me semble que cette façon directe d’analyser les choses et les gens paraît choquante. Chacun dans son for intérieur passe vite sans voir personne ou, se sachant observé mise sur l’indifférence pour passer inaperçu. Est-ce que bientôt on considérera comme un viol le simple fait de regarder quelqu’un plus de trois secondes ? Croiser un regard pourrait-il entraîner un procès ? Peut-être faut-il s’y attendre. A l’inverse, s’agit-il de saluer tout le monde ? D’être préoccupé par cette petite vieille qui traverse trop lentement ? Ou d’aller au devant de celui-ci qui marche un peu hagard, le regard plein d’effroi ? Est-ce bien raisonnable ? N’est-il pas acquis que chacun trace seul son chemin, grave seul son sillon pour en récolter les fruits ou en chasser les pierres ? Chacun doit devenir son propre pilote, l’évolution conduit à l’individuation, l’autonomie. Mais doit-on pour autant fermer les écoutilles ? Ces nouveaux pilotes que la société fabrique sont aux commandes de sous-marins. Tous essaient au mieux de rester discrets, de ne pas se faire repérer, de ne pas faire de vagues. Au pire, on croise des vaisseaux de guerre, blindés et les yeux comme des canons, les accessoires comme des sonars ou des paravents pour impressionner, étaler sa puissance de feu. S’il a un téléphone portable plus récent que le mien, est-ce que je lui dois la priorité ? S’il a une cravate en pavillon, est-il plus dangereux qu’un autre qui présente une casquette, hissée sur la tête ?